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conséquence de l’attachement, elle se ramène à de la tendresse.


… Je suis le captif des mille êtres que j’aime.
Au moindre ébranlement qu’un souffle cause en eux,
Je sens un peu de moi s’arracher de moi-même.


Cette conception de l’amour se retrouve partout dans M. Sully Prudhomme :


On a dans l’âme une tendresse
Où tremblent toutes les douleurs,
Et c’est parfois une caresse
Qui trouble et fait germer les pleurs.


Nul n’a senti mieux ce qu’il appelle la vanité des tendresses, c’est-à-dire l’impossibilité de retenir ceux qu’on aime, de se donner réellement à tous et de les avoir tous à soi. L’amour ne peut saisir ici-bas son objet ni, lorsqu’il croit l’avoir saisi, le garder : cet objet fuit toujours dans l’inconnu, sans laisser en nous autre chose qu’une blessure. Peut-être l’homme devrait-il, pour moins souffrir, se résoudre à aimer « comme on aime une étoile, »


Avec le sentiment qu’elle est à l’infini…


En somme, tous les mouvements du cœur, quels qu’ils soient, deviennent à notre époque plus réfléchis et plus philosophiques ; la poésie qui les exprime subit donc une transformation analogue. Cette intime pénétration de la sensibilité par l’intelligence est l’une des causes principales du progrès moral et esthétique. Ce qui amène en