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de l’esprit loules les fois que son objet n’est pas déterminé d’avance ; or la science, en sa partie la plus haute, ne vit, comme l’art même, que par la découverte incessante. C’est la même faculté qui fit deviner à Newton les lois des astres et à Shakspeare les lois psychologiques qui régissent le caractère d’un Hamlet ou d’un Othello. Comme le poète, le savant a besoin sans cesse de se mettre par la pensée à la place de la nature et, pour apprendre comment elle fait, de se représenter comment elle pourrait faire si on changeait les conditions de son action ; l’art de l’un et de l’autre, c’est de placer les êtres de la nature dans des circonstances nouvelles, comme des personnages agissants, et ainsi, autant qu’il est possible, de renouveler la nature, de la créer une seconde fois. L’hypothèse est une sorte de roman sublime, c’est le poème du savant. Kepler, Pascal, Newton, comme le remarque M. Tyndall, avaient des tempéraments de poètes, presque de visionnaires. Faraday comparait ses intuitions de la vérité scientifique à des « illuminations intérieures, w à des sortes d’extases qui le soulevaient au-dessus de lui-même. Un jour, après de longues réflexions sur la force et la matière, il aperçut tout d’un coup, dans une vision poétique, le monde entier « traversé par des lignes de forces » dont le tremblement sans fin produit la lumière et la chaleur à travers « l’immensité. » Cette vision instinctive fut la première origine de sa théorie sur l’identité de la force et de la matière. La science, en face de l’inconnu, se comporte donc à beaucoup d’égards comme la poésie et réclame le même instinct créateur. Pour la faire avancer, il faut une puissance d’intelligence intuitive amassée par