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mieux, en tout cas quelque chose d’humain. Nous sommes bien loin aujourd’hui des idées cartésiennes, qui réduisaient tout dans le monde, sauf la pensée humaine, à un pur mécanisme. La science moderne a donné raison au poète La Fontaine défendant les animaux contre le savant Descartes (dont la doctrine fut d’ailleurs souvent mal interprétée) ; la science semble encore de nos jours, avec Darwin comme avec Goethe et Geoffroy Saint-Hilaire, donner un peu raison aux légendes hindoues et grecques sur les métamorphoses et les transformations des êtres animés. Plus nous allons, plus nous retrouvons cette « identité originaire entre l’homme et la nature » sentie vaguement par les premiers poètes, et qui fait, selon Gœthe, « l’objet même du génie ; » nous voyons se rouvrir plus abondantes les sources primitives de la poésie. Je me rappelle ce passage de la grande épopée hindoue où Rama, enivré d’amour, cherche dans la forêt silencieuse qui l’enveloppe une sorte de vague sympathie avec lui, une communauté de tendresse et d’amour : « Vois cette liane flexible ; elle s’est posée amoureusement sur ce robuste tronc, comme toi, chère Sita, fuliguée, tu laisses ton bras s’appuyer sur mon bras. » Il y a plus que du symbolisme ici ; le poète hindou a entrevu cette réelle identité de nature entre tous les êtres animés qui permet au savant moderne, comme au brahmane antique, de se retrouver dans la plante et dans l’animal, et qui lui met au cœur une sympathie sans bornes pour la nature, frémissante comme lui-même de vie et de désir. Ainsi, la seule vraie poésie qui existât dans la mythologie ancienne subsiste encore aujour-