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tres, les anges gardiens, les voix, les houris jouent un rôle si considérable et nous font malgré nous sourire. Cependant le monde des poètes, même chez Victor Hugo, tend à redevenir le monde vrai, non cet idéal de convention qui ressemble aux bergeries du dix-huitième siècle. On pourrait faire la même remarque, avec encore plus de vérité, pour l’un des meilleurs poètes de notre génération, malheureusement trop subtil et trop ingénieux. M. Sully Prudhomme l’a écrit dans le Zénith, les anciens dieux n’ont plus de prêtres ; ce sont des astres qui portent aujourd’hui les noms sacrés de Jupiter ou de Vénus, — des astres que l’homme a découverts et pesés. Mais, faisant pressentir lui-même par une métaphore heureuse toute la poésie de l’astronomie moderne, il s’écrie :


Sous des plafonds fuyans, chasseresse d’étoiles,
Elle tisse, Arachné de l’infini, ses toiles
Et suit de monde en monde un fil sublime…


À cette transformation de l’univers par la science, le poète ne perd rien. M. Spencer, qui a défendu un jour la poésie de la science contre celle des « odes grecques, » fait à ce sujet de justes remarques. Pour l’homme de l’antiquité ou pour l’ignorant de nos jours, une goutte d’eau n’est qu’une goutte d’eau : comme elle change aux yeux du savant lorsqu’il pense que, si la force qui réunit ses éléments était tout à coup mise en liberté, elle produirait un éclair ! Un simple tas de neige devient une merveille pour celui qui a examiné au microscope les formes si variées et