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extérieurs des volontés semblables aux nôtres que de les soumettre aux lois dures de la science : une loi ne vaut pas un dieu. — En premier lieu, nous répondrons qu’une loi même a quelque chose de divin : le vrai caractère de la divinité, en efiet, c’est rinfaiité ; or une loi, reliant les phénomènes les uns aux autres et nous invitant à remonter sans arrêt la chaîne des causes, ouvre à l’esprit des perspectives immenses, et, pour qui l’approfondit, fait entrevoir l’infini sous le moindre objet, rend l’infini présent pour ainsi dire en chaque phénomène. Tandis que toute mythologie force l’esprit à s’arrêter dans sa recherche des causes, donne comme explication suprême la volonté mesquine d’un dieu et se réduit à l’Ανάγϰη στἡναι d’Aristote, la science enlève toute borne à l’intelligence et la place directement en face de la véritable divinité : l’infini. De là une nouvelle espèce de poésie, plus austère peut-être, mais bien plus profonde et plus durable, celle que Victor Hugo a essayé de symboliser dans le Satyre brisant l’Olympe. Quand Leibnitz replaçait avec respect sur une feuille l’insecte qu’il y avait pris pour l’examiner au microscope, il ne le voyait plus du même œil qu’un ancien eût pu le voir. En cet atome il avait aperçu, comme Pascal dans le ciron, un raccourci de la terre entière, des cieux et des mondes. Toute l’immensité, a dit Victor Hugo, « traverse l’humble fleur du penseur contemplée. » Cette idée de l’infini, identique à celle du divin, vaut bien le merveilleux classique et les décors fripés de l’Olympe. Si on peut faire un reproche à Victor Hugo, c’est d’avoir encore trop usé du merveilleux dans ses vers, où les fantômes blancs et noirs, les spec-