Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y a, d’ailleurs, un mystère que la science ne peut détruire et qui servira toujours de thème à la poésie : c’est le mystère métaphysique. Il n’est pas besoin, comme les religions et les théologies, d’ajouter encore de nouvelles obscurités à celle qui enveloppe éternellement le fond des choses ; arrivé là, le savant lui-même, réduit à s’arrêter, se laisse, suivant l’expression de Claude Bernard, « bercer au vent de l’inconnu, dans les sublimités de l’ignorance. » La science peut faire disparaître, sans que la poésie les regrette, les mystères artificiels des religions, qui appliquent leurs symboles même à l’explication de phénomènes purement scientifiques ; mais la science ne détruira jamais le mystère métaphysique, celui qui porte non seulement sur les lois inconnues, mais sur l’essence peut-être inconnaissable de la réalité. C’est ce mystère qui suffira toujours à entretenir dans l’art, au-dessus du beau pur et simple, le sentiment du sublime.

L’obscurité qui prête un caractère mystérieux à certaines œuvres d’art peut tenir à deux causes bien différentes : tantôt au vague de la pensée, — comme il arrive dans Gœthe, dans Shelley et dans Byron, — tantôt à la profondeur de la pensée, — et c’est ce qui arrive souvent chez le même Byron, chez Shelley et chez Gœthe. — Dans le premier cas, le vague est un défaut, un signe de faiblesse, et ne constitue nullement la grande œuvre d’art ; dans le second cas, la profondeur, malgré l’obscurité du premier coup d’œil, offre une perspective plus ou moins lointaine sur des clartés que la science découvrira un jour. La poésie est elle-même une sorte de science spontanée. Le grand