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quoi qu’on en dise, une charrette qu’un cheval s’essouffle à traîner.

Ce qu’il y a de peu esthétique dans les chemins de fer, concédons-le vite, ce sont les travaux de la voie, non pas les grandes constructions (comme les viaducs, comme la gueule sombre des tunnels), mais l’uniforme ligne des remblais grisâtres. L’esthéticien anglais Ruskin a voué une véritable haine aux railways ; le poète Tennyson lui a répondu que l’art peut, comme la nature, recouvrir de ses fleurs les voies même et les talus des chemins de fer. La véritable réponse à faire, c’est que les raihvays sont un mal nécessaire qui tient plutôt à la nature de l’espace qu’à la faute de l’industrie : la plus belle statue a encore besoin d’un socle, et il faut tendre la toile d’un Raphaël sur un prosaïque châssis. Les railways du mont Cenis ou du Saint-Gothard ont pour compensation la Suisse et l’Italie mises à proximité de Paris ou de Londres. M. Ruskin lui-même connaîtrait-il aussi bien Venise, Rome ou les Alpes, sans ces chemins de fer qu’il maudit en les pratiquant, et qui sont une des conditions du progrès esthétique chez l’homme ? Peut-être un jour les moyens de locomotion deviendront-ils en eux-mêmes poétiques, si le problème de la direction des ballons est enfin résolu et si l’homme peut changer de lieu comme l’oiseau, en planant.

Ce que nous disons de la beauté des locomotives ou des ballons peut s’appliquer à une foule d’autres œuvres de l’industrie. M. Sully Prudhomme fait cette remarque, que « nos armes à feu, beaucoup plus efficaces que celles de nos ancêtres, n’ont pas un aspect plus terrible. « Il oublie que la