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proportions, très éloignée de représenter la puissance de son moteur. » M. Sully Prudhomme en conclut que nos machines à vapeur actuelles l’emportent autant, au point de vue esthétique, sur les machines de l’avenir que les « magnitiques vaisseaux à voiles d’autrefois » l’emportent sur « nos laids bateaux à vapeur. »

Ces considérations très ingénieuses renferment les conclusions les plus précipitées. Ce qui est esthétique dans une machine, ce qui frappe notre imagination, ce n’est guère la façon dont elle représente telle ou telle force de la nature. Nous songeons beaucoup moins qu’on ne pense à l’impulsion du vent, en voyant au loin errer sur la mer la voile blanche et légère d’un bateau ; le mouvement du bateau sera même d’autant plus gracieux qu’il aura l’air plus spontané, qu’il ressemblera mieux au battement d’ailes d’un oiseau, au glissement d’un goéland à la sui’face des tlots. Ce n’est en aucune façon la représentation du vent que nous admirons dans le bateau à voiles, c’est surtout l’apparence de la vie sous sa forme la plus charmante, sous sa forme ailée. De même, un moulin à vent n’est beau qu’en mouvement et dans l’apparence de la vie : au repos et vu de près, c’est une assez laide machine. Un arc qui se détend pour lancer une tlèche ne manque pas de grâce : pourquoi ? est-ce parce qu’il représente à nos yeux une force de la nature, l’élasticité ? non, mais parce que son mouvement, qui est le germe du mouvement réflexe, semble un signe et un commencement de vie. Moins une machine est représentative de la force extérieure qui la fait mouvoir, plus elle a de valeur esthétique. La machine qui ressemblera le