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rencontrés sur son chemin, des Washington, des Lincoln et des Thiers.

Reste un dernier argument, tiré des conditions morales que l’art a besoin de rencontrer pour éclore. L’art, nous dit-on, ne peut s’accommoder de cet amour du lucre qui nous envahit aujourd’hui ; l’art est le contraire de l’« américanisme ; » or c’est l’américanisme qui l’emportera : l’industrie tuera l’art. — Cette opposition à outrance qu’on établit entre les préoccupations trop pratiques de la vie et le désintéressement de l’art renferme une part de vérité. L’« américanisme, » cette science toute terre à terre, tout industrielle et mercantile, n’est pas seulement l’adversaire de l’art, mais aussi de la vraie science : dans la science, malgré l’importance croissante des applications pratiques, les spéculations théoriques et désintéressées sont toujours le premier moteur, le ressort de tout progrès. Aussi l’américanisme finirait-il par faire oublier non seulement l’art, mais la science : c’est donc l’ennemi commun. Il se détruirait d’ailleurs lui-même si jamais il triomphait complètement chez un peuple, parce qu’il se transformerait rapidement en routine, abaisserait l’intelhgence et entraînerait la perte de la nation qui l’aurait favorisé à l’excès. Nous devons donc lutter contre les tendances trop exclusivement utilitaires que peut prendre à certains moments l’esprit national, lutter contre l’enseignement trop « primaire » ou « spécial,» cette forme mitigée de l’ignorance, maintenir enfin tout ensemble dans l’éducation la part de la science pure et de l’art, deux choses trop élevées pour se contredire. Quant à croire que