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vent plus facile à réformer (Corneille en a été encore un exemple) que celui d’une académie.

De tout temps le génie a été plus ou moins incompris ; il n’en peut être autrement, puisque la nature même du génie est de se trouver en avant sur la moyenne des intelligences. Pour rencontrer un accueil plus sûr, il lui faudrait attendre la montée de la marée humaine, comme le pêcheur qui aborde au rivage attend, assis sur l’avant de sa barque, la vague qui doit le porter jusque sur le sable, se laisse soulever par elle et d’un bond saute gaiement à terre ; mais le génie est toujours pressé : en plein océan, il crie : « Terre ! » et s’élance pour aborder ; s’il arrive vivant, c’est une grande chance. Que lui importe ? il arrivera toujours ; au besoin il suscitera lui-même le flot qui doit l’apporter mort ou vif. Il faut le reconnaître, les génies et même les talents ont eu le plus souvent trop d’ennemis pour ne pas avoir, par compensation, un petit cercle d’admirateurs enthousiastes. De plus, si on trouve peu d’exemples de génies parfaitement compris de leurs contemporains, on en trouve moins encore de génies méconnus par l’avenir. Les fureteurs d’archives n’ont découvert jusqu’à présent les traces d’aucun génie de premier ordre qui serait passé inaperçu de tous. Le plus grand danger autrefois pour l’artiste ou pour le penseur, c’était de voir son œuvre anéantie par le feu sur place de Grève, privée ainsi de l’avenir, damnée pour ainsi dire à jamais. Rien de tel n’étant à craindre aujourd’hui, l’artiste peut faire bon marché de tout le reste. Le plus grand danger qu’il puisse courir, c’est l’obscurité, c’est de se débattre dans