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Il existe aujourd’hui toute une école d’historiens pessimistes : d’une part, cette école prévoit le triomphe universel de la démocratie comme une chose nécessaire, d’autre part, elle y trouve une cause inévitable de décadence pour l’art et en général pour rintelhgence humaine. Le raisonnement de ces pessimistes peut se formuler ainsi : l’idéal de la démocratie, c’est l’égahté politique et même économique entre les hommes ; cette égahté politique et écononomique tendra à produire une égalité intellectuelle, une élévation des petits esprits compensée par l’abaissement des grands ; cette universelle médiocrité tuera l’art, qui ne peut vivre que par la supériorité du génie et qui est ainsi, par essence, aristocratique. — Ce raisonnement, assez spécieux, est pourtant plus superficiel qu’on ne le croit ; ce que les adversaires de la démocratie devraient prouver en effet, et ce qu’ils ne prouvent nullement, c’est que l’égalité des droits politiques tende à produire l’égalité des cervaux et des aptitudes. Examinons pourtant la question en détail.

Tout d’abord la démocratie peut-elle détruire les conditions organiques et physiologiques du génie chez l’artiste ? peut-elle réduire le nombre de ses circonvolutions cérébrales ou diminuer le poids de son cerveau ? — Cette thèse ne saurait se soutenir sans parti pris : il faudrait alors revenir à l’opinion de ce médecin, ennemi du suffrage universel, qui représentait l’« agitation électorale » comme devant s’étendre à l’esprit même des mères de famille, troubler le lait des nourrices et donner des convulsions aux électeurs encore naissants. Le jour où la démocratie produirait chez