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tôt une gêne qu’un secours ; il vient des imagos nouvelles et expressives que le poète, avec les mots les plus simples, sait évoquer devant l’esprit de son lecteur. Un langage uniformément imagé altère même la pensée au lieu de la faire ressortir ; c’est comme un tableau où toutes les couleurs seraient portées à leur plus haut éclat, sans dégradations et sans nuances.


Une dernière objection à l’avenir de l’art a été suggérée par l’histoire : c’est celle qu’on a tirée des faits politiques et économiques dont notre siècle est témoin. Les masses étant appelées à toutes les jouissances de l’art et devenant aujourd’hui les véritables juges du beau, l’art même ne lendra-t-il pas à s’abaisser pour se mettre au niveau de la foule ? On ne vulgarise pas le beau. L’art, selon M. Renan, ne pouvant rester le partage d’une petite élite aristocratique, ne sera pas. Même doctrine dans M. Schérer. « L’art est condamné, dit aussi M. de Hartmann, à n’être pour l’âge mùr de l’humanité que ce que sont le soir, pour les petits boursiers de Berlin, les farces des théâtres de notre capitale. » Dans les raisonnements de ce genre, on oublie trop que le peuple a eu de tout temps comme de nos jours son art inférieur à lui, ses « farces, » ses contes qui le charmaient à l’égal de certains romans contemporains. Parce que le peuple moderne aime ses théâtres plus ou moins grossiers, ses chansons gauloises, sa musique aux refrains sautillants, ses romans de cour d’assises, on dit que l’art s’abaisse ; au contraire, de la farce au vaudeville, il y a quelque progrès ; les paroles et la musique d’opérette sont encore