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chœurs, avec ses mouvements lyriques mêlés à la trame dramatique a également disparu ; mais ce qui a péri, c’est surtout ce qu’il y avait en elle de conventionnel. La tragédie du dix-septième siècle elle-même est déjà d’un autre âge ; les « tirades » des drames romantiques sont à leur tour usées ; mais du continuel dépérissement des formes particulières de la poésie l’historien n’a pas le droit de conclure, avec M. Renan, au dépérissement de la poésie elle-même. M. Taine, de son côté, a beau nous dire que les langues anciennes et méridionales , naturellement colorées, produisaient naturellement « poètes et peintres, » tandis que les langues trop abstraites des modernes réduiront l’artiste à des « études d’archéologie ; » nous répondrons qu’en fait, les plus grands coloristes n’ont pas été les anciens, mais les modernes[1]. M. Taine lui-même trouve-t-il donc que son propre style, en comparaison de la langue d’Isocrate, n’est pas assez « haut en couleur, » et que c’est la faute de la langue française ? D’ailleurs le style fleuri, auquel les langues du Midi semblent plus propres , ne doit pas être confondu avec le style poétique. Le vrai coloris ne vient pas des images qui se trouvent déjà toutes faites dans la langue et qui, fanées par l’usage, sont plu-

  1. M. Taine objectera que nos puissants coloristes modernes, comme V. Hugo, Balzac ou Delacroix, sont des « visionnaires surmenés. » — Nous répondrons que de tout temps les grands artistes ont été portés à abuser de leur imagination ; celle-ci, en vertu de la loi de « balancement organique, » se développe alors d’une manière presque monstrueuse aux dépens des autres facultés : les Isaïe, les Dante étaient aussi des tempéraments mal équilibrés, ils avaient la fièvre et soutiraient. Leur mal ne tenait point à leur langue ni à leur époque, mais à leur génie même.