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musiciens comme Chopin, Schumann, Berlioz, ont exprimé des sentiments propres à notre époque et correspondant à un état du système nerveux dont Hændel, Bach ou Haydn auraient eu peine à se faire l’idée. La musique est, comme l’a montré M. Spencer, un développement de l’accent que la voix prend sous l’influence de la passion ; or, ces variations de ton, ces modulations naturelles à la voix humaine peuvent aller se raffinant à mesure que le système nerveux augmentera de délicatesse. Comparez la conversation d’une femme du peuple avec celle d’une personne distinguée, vous verrez combien la voix de la seconde a des modulations plus fines et plus complexes. La mélodie musicale, suivant les variations de l’accent humain, peut se nuancer de plus en plus comme les sentiments mêmes du cœur. Quant à la crainte que les combinaisons des notes de musique ne viennent à s’épuiser, elle n’est guère sérieuse, si on songe aux lois mathématiques des combinaisons ; grâce au rythme et au mouvement, la mélodie peut varier sans cesse ; d’autre part, l’harmonie a encore des ressources sans nombre. Le critique anglais lord Mount Edgaunbe reprochait autrefois à Rossini ses morceaux d’ensemble à diverses parties, ses chœurs, ses duos remplaçant les longs solos du bon vieux temps ; il lui reprochait l’inlroduction des rôles de basse-taille dans l’opéra, la multiplicité de ses thèmes mélodiques, alors qu’auparavant on se contentait d’un seul thème suivi de variations. Enfin, aux yeux de ce critique d’art plein d’autorité en son temps, la musique de Rossini était beaucoup trop complexe et « inintelligible. » Dieu sait pourtant combien elle