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Michel-Ange ; Michel-Ange ce poète de la pierre — et ce penseur — n’eût pu exécuter telle ou telle œuvre de Praxitèle[1].

La peinture a plus de chances encore de durée et même de progrès. La couleur est une chose éternelle. Nul Newton, en expliquant la courbe aérienne de l’arc-en-ciel, ne pourra la briser ni la faire évanouir. Le sentiment de la couleur n’a même fait que croître depuis l’antiquité. Les Grecs, on le sait, ne possédaient pas de mots précis pour désigner une foule de teintes ; sans tomber à ce sujet dans les paradoxes de certains physiologistes comme H. Magnus, on peut cependant admettre qu’ils n’avaient pas de la couleur un sentiment aussi fort que nos Titien et nos Delacroix. L’humanité semble devenue de plus en plus sensible à la langue des nuances, à tous les jeux de la lumière ; il y a là une voie qui reste ouverte pour l’art.

De même, la langue des sons est inépuisable. Prétendre avec M. Renan que la musique, qui date de deux ou trois siècles, sera bientôt une chose faite, c’est comme si l’on avait affirmé que la peinture était finie et « parachevée » avec Apelle et Protogène. On croyait aussi la poésie épuisée vers l’an 1820. L’idée mélodique répond toujours à un certain état intellectuel et moral de l’homme, qui change avec les siècles ; elle changera donc et pourra faire de nouveaux progrès avec l’homme même. Certains

  1. Les types mêmes de la beauté varient d’un siècle à l’autre, d’un lieu à l’autre, en peinture comme en sculpture. Léonard de Vinci et ses disciples ont un certain type préléré qu’où retrouve partout dans leurs œuvres ; Pérugin et Raphaël en ont un autre ; les Vénitiens aussi.