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trouve à ce point en danger, les progrès de la science, qui caractérisent essentiellement l’esprit moderne, n’y sont pour rien ; au contraire, la sculpture antique vivait elle-même par la science : les artistes anciens étaient plus savants dans la technique de leur art que nos artistes modernes. À la Renaissance, les Léonard de Vinci et les Michel-Ange étaient de puissants génies scientifiques. Loin de tuer la sculpture, c’est peut-être la science moderne qui sera capable un jour de la rajeunir : rien de plus précieux pour l’art, par exemple, que les recherches commencées par des savants tels que Darwin sur l’expression des émotions. Le système nerveux et ses rapports avec le système musculaire renferment encore aujourd’hui, pour nous, quantité d’inconnues. « Il n’est pas permis au sculpteur, a écrit Ruskin, d’être en défaut soit pour la connaissance, soit pour l’expression du détail anatomique. Seulement, ce qui pour l’anatomiste est la fin, est pour le sculpteur le moyen… Le détail n’est pas pour lui une simple matière de curiosité ou un sujet de recherche, mais l’élément dernier de l’expression et de la grâce. » La plastique et la science ne s’excluent donc point. Quant au changement des mœurs, qui ne date pas d’hier, il n’a point entraîné et n’entraînera pas, sans doute, la disparition de la statuaire. On ne refera point la Vénus de Milo ou l’Hermès de Praxitèle ; mais qui sait si le statuaire ne deviendra pas capable de fixer dans la pierre des idées, des sentiments poétiques que les Grecs, avec toute la perfection plastique à laquelle ils étaient arrivés, n’auraient pu rendre ni peut-être concevoir ? Praxitèle n’eût pas imaginé la Nuit ou l’Aurore de