Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’intelligence, « et, dans le fond des yeux, l’infini des pensées. » Le corps fût-il moins fortet moins beau que celui des athlètes de Polyclète ou des géants charnus de Rubens, la tête aurait acquis une beauté supérieure. N’est-ce donc rien, même au point de vue plastique, qu’un front sous lequel on sent la pensée vivre, des yeux où éclate une âme ? Même dans le corps entier, l’intelligence peut finir par imprimer sa marque ; moins bien équilibré peut-être pour la lutte ou la course, un corps fait en quelque sorte pour penser posséderait encore une beauté à lui. La beauté doit s’intellectualiser pour ainsi dire ; il en est de même de l’art. Si c’est surtout par l’expression que peuvent vivre l’art moderne et la poésie, si la tête et la pensée prennent déjà dans les œuvres de notre époque une importance croissante ; si le mouvement, signe visible de la pensée, finit par y animer tout, comme chez les Michel-Ange, les Puget et les Rude, l’art, pour s’être transformé, sera-t-il détruit ? On pourrait dire, en empruntant à la science contemporaine sa terminologie, que les anciens ont connu surtout la a statique » de l’art ; il reste à l’art moderne, avec le mouvement et l’expression, ce que nous appellerons la « dynamique » de l’art. Suivant dans son progrès l’évolution même de la beauté humaine, l’art tend à remonter, en une certaine mesure, des membres au front et au cerveau.

__________