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PRÉFACE


La science tend de nos jours à envahir tout le domaine intellectuel. L’humanité avait jusqu’ici vécu surtout de ces trois choses : la religion, la morale, l’art. Or l’esprit scientifique a presque entièrement détruit les bases des diverses religions ; il s’attaque aujourd’hui aux principes reçus de la morale ; — il n’est pas porté à respecter davantage l’art, ce dernier refuge du « sentimentalisme. »

Les grands artistes avaient cru de tout temps au caractère sérieux et profond de l’art ; ils l’estimaient plus vrai et plus important que la réalité même : ils lui vouaient leur vie, se dépensaient pour lui sans compter. Ce respect de l’art, chez les plus mystiques d’entre eux, devenait une sorte de culte : Beethoven, en écoutant intérieurement ses symphonies, croyait, nous dit-il, entendre Dieu même parler à son oreille, et sans doute, aux yeux de Michel-Ange, les fresques dont il couvrait la Chapelle Sixtine étaient une nouvelle consécration, aussi auguste que celle du prêtre. Nous sommes loin aujourd’hui de cet ordre d’idées, si l’on en juge par les théories sur l’art qui sont le plus en faveur auprès des savants, souvent même des philosophes. Une première théorie scientifique et philosophique ramène l’art, comme le beau même, à un simple jeu de nos facultés ; du reste,