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une omoplate suffisait pour transporter de plaisir ces générations d’artistes[1]. De nos jours, au contraire, la force et la beauté du corps ne sont plus notre idéal. Tout semble montrer d’ailleurs que la préoccupation trop exclusive des belles formes, et aussi des ornements, des parures, est le signe auquel on reconnaît les peuples primitifs. Chez ceux des peuples modernes qui sont encore à un degré inférieur de civilisation, comme les Arabes par exemple, le sexe masculin lui-même montre une grande coquetterie ; il cherche à plaire surtout par sa force et sa beauté physiques, par ses vêtements et sa parure. La civilisation détruit graduellement ces instincts primitifs, qui ont été pourtant, selon MM. Darwin et Spencer, le germe même de l’art. L’homme de nos jours ne se soucie plus guère, sous les vêtements commodes et disgracieux qui le cachent, d’avoir un torse bien proportionné, des muscles vigoureux. La coquetterie, que M. Renan appelle « le plus charmant de tous les arts, » subsiste sans doute et subsistera longtemps encore chez la femme, mais elle tend souvent à dévier de son but, qui est de faire ressortir la beauté des membres : on a peur de montrer même ses mains ! Les femmes, qui devraient plus que d’autres tenir à conserver des formes pures et correctes, entravent de mille manières le développement de leur corps et la circulation de leur sang. Aussi n’est-ce pas seulement le culte antique de la beauté, mais la

  1. Benvenuto Cellini s’enthousiasme pour ces reliefs ou creux que forment les cinq fausses côtes autour du nombril quand le corps se penche en avant ou en arrière : « Tu auras du plaisir à dessiner les vertèbres, ajoute-t-il, car elles sont magnifiques ; tu dessineras alors l’os qui est placé entre les deux hanches, il est très beau. »