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rait pas les drames mesquins de l’humanité pour le grand drame du monde ? L’aïeul de Darwin consacra une partie de sa vie à écrire de mauvais poèmes ; son petit-fils, né cent ans plus tôt, en eût peut-être fait autant ; par bonheur, Charles Darwin est bien de son siècle : au lieu d’un poème des jardins, il nous a donné l’épopée scientifique de la sélection naturelle. Les poèmes meurent avec les langues, et les poètes, comme l’a écrit l’un d’eux, ne peuvent espérer pour leurs œuvres « qu’un soir de durée au cœur des amoureux ; » les toiles des peintres s’usent, et, dans quelques centaines d’années, Raphaël ne sera plus qu’un nom ; les statues et les monuments tombent en poussière : seule, semble-t-il, l’idée dure, et celui qui a ajouté une idée au lot de l’esprit humain peut vivre par elle aussi longtemps que l’humanité même. Faut-il donc croire que l’imagination et le sentiment ne sont point vivaces comme l’idée, et que l’art finira par céder la place à la science ? Il y a là un nouveau problème digne d’attention, puisqu’il touche en somme à la destinée même du génie humain et à ses transformations dans l’avenir.

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