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LIVRE II
L’AVENIR DE L’ART ET DE LA POÉSIE

Il y a une quarantaine d’années, à la fin d’un repas chez le peintre anglais Haydon, le poète Keats leva son verre en proposant le toast suivant : « Honnie soit la mémoire de Newton ! » Les assistants furent assez étonnés, et Wordsworth, avant de boire, demanda une explication. Keats répondit : « Parce qu’il a détruit la poésie de l’arc-en-ciel en le réduisant à un prisme. » Et l’on but « à la confusion de Newton. » — La poésie des choses est-elle donc réellement détruite par leur connaissance scientifique ? Toute poésie ressemble-t-elle en effet à ce voile multicolore et léger qui flotte entre terre et ciel, à cette écharpe brodée par la lumière, que les anciens avaient divinisée et dont Newton mit à nu la trame toute géométrique et terrestre ? Dès le dix-septième siècle, Pascal disait ne pas faire de différence entre le métier de poète et celui de « brodeur. » Cette définition, assez méprisante dans la pensée de Pascal, fut exagérée encore par Montesquieu : « Les poètes, dit-il, ont pour métier d’accabler la raison et la nature sous les agréments, comme on ensevelissait