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ÉPICURE

Nous sommes avertis de l’un par un sentiment tout différent de celui qui nous révèle l’autre. « C’est de la volonté de l’esprit que le mouvement procède d’abord ; de là il est distribué par tout le corps et les membres. Et ce n’est plus la même chose que quand nous marchons sous le coup d’une impulsion, cédant aux forces supérieures d’un autre et à une contrainte violente. Car en ce cas il est évident que toute la matière de notre corps marche et est entraînée malgré nous, jusqu’à ce qu’elle ait été réfrénée à travers les membres par la volonté. Ne voyez-vous pas alors, quoique souvent une violence extérieure nous pousse, nous force à marcher malgré nous et nous entraîne en nous précipitant, ne voyez-vous pas que cependant il y a dans notre cœur quelque chose qui peut lutter contre elle et se dresser en obstacle ? A son arbitre, la masse de la matière est aussi forcée parfois de se fléchir à travers les membres, à travers les articulations : poussée d’abord en avant, elle est réfrénée, et, ramenée en arrière, elle est réduite au repos[1]. »

Une seconde preuve de l’opposition entre le mouvement volontaire, que nous révèle l’effort, et le mouvement fatal des organes, c’est, suivant les Epicuriens, le contraste qui existe parfois entre l’élan immédiat de la volonté et son exécution plus lente dans la matière rebelle : tous les êtres animés en sont un exemple. « Ne voyez-vous pas, quoique la carrière soit devant lui ouverte en un instant, que l’impétuosité ardente du coursier ne peut s’élancer aussi soudainement que le désire l’âme même ? C’est que toute la masse de la

  1. Lucr., II, v. 269.

    « Ut videas initium motûs a corde creari,
    Ex animique voluntate id procedere primùm,
    Inde dari porro per totum corpus et artus.
    Nec simile est ut quum impulsi procedimus ictu,
    Viribus alterius inagnis magnoque coactu :
    Nam tum materiam totius corporis omnem
    Perspicuum est nobis invitis ire rapique,
    Donicum eam refrenavit per membra voluntas.
    Jamne vides igitur, quanquam vis extera multos
    Pellit et invitos cogit procedere sæpe
    Præcipitesque rapit, tamen esse in pectore nostro
    Quiddam, quod contra pugnare obstareque possit :
    Cujus ad arbitrium quoque copia. materiaî
    Cogitur interdum flecti per membra, per artus,
    Et projecta refrenatur, retroque residit ? »