sagesse antique ; vous ne pouvez savoir qu’en mourant, vous ne pouvez savoir qu’au moment où vous ne l’êtes plus, si vous avez été heureux.
Non-seulement chaque homme en particulier était ainsi, d’après la conception païenne, l’esclave du hasard divinisé ; mais les hommes, même en s’unissant, en se groupant, en s’aidant les uns les autres, ne parvenaient pas à se donner une plus grande liberté ; on eût dit plutôt que tant de superstitions particulières, en s’accumulant, accroissaient la servitude commune. Les armées, les cités, les nations, — autant de grands corps liés, suivant l’expression de Lucrèce, « des nœuds étroits de la religion. »
Epicure sentit plus qu’aucun autre philosophe de l’antiquité, si l’on en excepte son disciple Lucrèce, la gêne de tant de liens. Déjà les Cyrénaïques, avec Théodore et Evhémère[1], s’étaient attaqués aux dieux du paganisme ; mais ils n’avaient guère employé d’autre arme que la logique ; or, la logique seule, surtout lorsqu’elle semble revêtir les formes de l’impiété, ne suffit point pour renverser les croyances les mieux enracinées dans l’homme. Epicure fut plus qu’un logicien : il sut parler au cœur, et éveiller chez ses disciples, pour combattre la tendance à la superstition, une autre tendance encore plus vivace chez l’homme, la tendance à la liberté. Il ne voulait pas seulement dépersuader, il voulait délivrer ; il s’était donné à lui-même la tâche de libérateur[2] ; bien plus, c’était, comme nous le verrons plus tard, avec une sorte de piété qu’il renversa la piété aveugle de la foule. Ne disait-il pas : « L’impie n’est point celui qui abolit les dieux du vulgaire, mais celui qui applique aux dieux les opinions du vulgaire[3]. »
Maintenant, comment Epicure s’y prend-il pour accomplir cette délivrance de l’humanité et pour rendre la paix aux âmes « oppressées par la religion » ? — La
- ↑ Diog. L. II, 86, 97. Plut., de Is et Os., 23. Cicéron, de Nat. D. I, i, 23.
- ↑ Pour tous ses disciples ou ses fidèles, pour Lucrèce comme pour Torquatus ou Velléius, comme pour le sceptique Lucien lui-même, Epicure est le « libérateur ». — « Philosophiæ service, libertas est. » Epic. ap. Sen., Epist. 8.
- ↑ Diog. L., x, 123. Ἀσεθὴς δοὐχ ὁ τοὺς τῶν πολλῶν θεοὺς ἀναιρῶν, ἀλλ᾽ ὁ τὰς τῶν πολλῶν δόξας θεοῖς προσάπτων.