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ÉPICURE

Aussi Epicure fait-il de la philosophie un superbe éloge ; ses paroles à Ménécée rappellent la réponse de Socrate au reproche que lui faisait Calliclès de s’attarder dans les études philosophiques : « Que le jeune homme, dit Epicure, n’hésite point à philosopher, que le vieillard ne se fatigue point en philosophant ! L’heure est toujours venue et n’est jamais passée où on peut acquérir la santé de l’âme. Dire qu’il est trop tôt pour philosopher ou trop tard, ce serait dire qu’il n’est pas encore ou qu’il n’est plus temps d’être heureux. Qu’ils philosophent donc tous deux, et le vieillard et le jeune homme ! celui-là afin que, vieillissant, il rajeunisse dans les vrais biens en rendant grâce au passé, celui-ci afin qu’il reste jeune, même pendant la vieillesse, par la confiance dans l’avenir. Méditons sur les moyens de produire le bonheur, car, si nous l’avons, nous avons tout, s’il nous manque, nous faisons tout pour le posséder[1]. » Mais, si Epicure vante en ce langage enthousiaste la philosophie, rappelons-nous bien que ce n’est point pour sa valeur propre, ni comme la plus haute spéculation de l’intelligence : pour lui la philosophie a un but exclusivement pratique.

En effet, « la chose la plus précieuse de la philoso-


    ou agréable, non comme purement et simplement moral, il ne suffit plus pour l’atteindre d’un acte de la volonté et d’une intention droite ; on peut se tromper, prendre une apparence de plaisir pour un plaisir réel, un vrai mal pour un vrai bien ; l’intention est peu de chose, le succès est tout. Or, pour réussir, le mieux est de savoir ; à ce qui n’est qu’erreur ou mal intellectuel, non mal moral et volontaire, le seul remède est la science : voilà sans doute pourquoi Épicure et Socrate s’accordent ensemble à reconnaître la nécessité de la science et son identité avec la vertu ; seulement, Socrate place dans la science même le bien, qu’il prend d’ailleurs en un sens trop neutre et trop impersonnel : Epicure subordonne la science au bien le plus concret et le plus palpable, le plaisir. L’Epicurisme sous ce rapport est la doctrine socratique retournée. Epicure pourrait, sur plus d’un point, accepter les idées socratiques, comme le faisait sans doute son prédécesseur Aristippe, le disciple même de Socrate. Entre autres choses il semble s’accorder avec Socrate pour distinguer l’εὐπραξία, ou le bien accompli en connaissance de cause et avec la sûreté de la science, de l’εὐτυχία ou du bien reçu par hasard, par chance. Cf. Plut., ad. Colot., 15, 4.

  1. « Μήτε νέος τις ὢν μελλέτω φιλοσοφεῖν, μήτε γέρων ὑπάρχων κοπιάτω φιλοσοφῶν. κ. τ. λ. Diog. Laërt., X, 122.