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CONCLUSION

s’empêcher de croire qu’en écrivant ces lignes Gassendi faisait quelque retour sur lui-même et pensait à son siècle non moins qu’à celui d’Épicure.

Quant aux Épicuriens du XVIIIe siècle, ils lèvent tout à fait le voile. La Mettrie, Helvétius et d’Holbach attaquent ouvertement la religion. Dans quatorze longs chapitres du Système de la nature, d’Holbach, avec une audace que bien peu de philosophes avaient eue jusqu’alors, s’efforce de renverser l’idée de Dieu sous toutes ses formes. C’est en grande partie sur l’épicurisme que le XVIIIe siècle appuie son incrédulité. Comme on le voit, les disciples sont allés plus loin que le maître, trop loin peut-être, car ils n’ont pas vu que, le sentiment religieux existant en fait, il fallait compter avec lui, qu’il représentait une tendance, légitime ou non, de la nature humaine et que la philosophie devait chercher à le satisfaire dans une certaine mesure.

En résumé, les doctrines épicuriennes ont exercé une influence incontestable sur le développement de la pensée humaine. Dans les sciences naturelles, le système cosmologique de Démocrite et d’Épicure semble triompher de nos jours. Dans les sciences morales et sociales, les doctrines dérivées de l’épicurisme sont également plus puissantes qu’elles ne l’ont jamais été. En ce moment même l’école anglaise est en train de relever, en face du stoïcisme restauré par Kant, un épicurisme renouvelé par les données de la science moderne. Que de vieilles idées et de préjugés enracinés dont l’épicurisme a contribué à débarrasser le domaine moral ! De même, nous l’avons vu, dans le domaine religieux Épicure a travaillé plus qu’aucun autre philosophe de l’antiquité à affranchir la pensée humaine de la croyance au merveilleux, au miraculeux et au providentiel. Bien avant la venue du christianisme, il s’était déjà attaqué à la religion païenne et l’avait réduite à l’impuissance. C’est encore de nos jours l’esprit du vieil Épicure qui, combiné avec des doctrines nouvelles, travaille et mine le christianisme. Parmi les libres penseurs d’aujourd’hui, combien méritent ce nom d’ « Épicuriens » sous lequel les Pères de l’Église et les Juifs englobaient déjà les libres penseurs d’autrefois !