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HELVÉTIUS

mes l’œuvre d’une logique nécessaire, si elles n’étaient pas liées entre elles par des rapports constants et invariables, si, pour ainsi dire, elles ne se répondaient pas les unes aux autres ? « C’est à l’uniformité des vues du législateur, à la dépendance des lois entre elles que tient leur excellence. Mais, pour établir cette dépendance, il faut pouvoir les rapporter toutes à un principe simple[1]. » Ici encore, Helvétius semble devancer et annoncer ces législateurs systématiques qui devaient faire, quelques années plus tard, la Déclaration des droits de l’homme : c’est bien là. la vraie législation, dont toutes les parties se rapportent les unes aux autres et dépendent les unes des autres, parce qu’elles se rapportent toutes à une même fin et dépendent toutes d’un même principe. Mais, au lieu d’appeler ce principe de la législation, qui est aussi sa fin, le droit, Helvétius l’appelle l’utilité. « Ce principe simple, c’est celui de l’utilité du public, c’est-à-dire du plus grand nombre d’hommes soumisà la même forme de gouvernement. » Et il ajoute, avec la confiance de tout son siècle dans les idées nouvelles : « Ce principe, personne n’en connaît toute l’étendue ni la fécondité ; il renferme toute la morale et la législation ; mais beaucoup de gens le répètent sans l’entendre, et les législateurs n’en ont encore qu’une idée superficielle[2]. »

Comme le législateur doit s’appliquer aux recherches morales, ainsi le moraliste doit s’efforcer de faire passer ses théories dans la loi : qu’ils s’appuient l’un sur l’autre, et que leurs efforts se confondent comme se confondent leurs objets! « Les vices d’un peuple sont toujours cachés au fond de sa législation : c’est là. qu’il faut fouiller pour arracher la racine productrice de ces vices. Qui n’est doué ni des lumières ni du courage nécessaires pour l’entreprendre, n’est, en ce genre, de presque aucune utilité à l’univers... Pour se rendre utiles à l’univers, les philosophes doivent considérer les objets du point de vue d’où le législateur les contemple. Sans être armés du même pouvoir, ils doivent être animés du même esprit. C’est au moraliste d’indiquer les lois dont le législateur assure l’exécution par l’apposition du sceau de sa puissance. »

Pour aider à l’accomplissement de ce grand œuvre, —

  1. De l’espr., II, 17.
  2. De l’espr., II, 17.