Page:Guyau - La Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
SPINOZA

comprend ; et ce n’est aussi qu’à ce même titre qu’on peut dire d’une manière absolue que l’âme agit par vertu. Comprendre, voilà donc la vertu absolue de l’âme. Or, le suprême objet de notre intelligence, c’est Dieu. Donc la suprême vertu de l’âme, c’est de comprendre ou de connaître Dieu[1]. »

Comprendre l’absolue nécessité de la nature éternelle, c’est comprendre ce qui, n’étant soumis qu’à sa propre loi, est libre ; c’est donc comprendre l’éternelle liberté. Par cela même, c’est participer à cette liberté, et s’identifier avec elle. La science de la nécessité ne fait donc qu’un avec la liberté. Encore un principe stoïcien rattaché par Spinoza à l’épicurisme. Le point commun où les deux doctrines viennent se confondre, c’est l’intuition intellectuelle qui couronnait la morale d’Aristote, c’est-à-dire la pensée de l’homme s’identifiant à la pensée divine, ou la conscience de l’éternité. « Nous sentons, nous éprouvons que nous sommes éternels. » Cette conscience, produisant la suprême joie, c’est l’amour de soi véritable, et en même temps c’est l’amour de Dieu. L’idéal mystique des Hébreux et des Chrétiens semble ici se confondre avec les théories morales de l’antiquité, dans la vaste synthèse que propose Spinoza. Sa conception de la nature embrasse tout le reste : l’utilité ou le plus grand bonheur possible, c’est la nature jouissant de soi ; la science et l’intuition intellectuelle, c’est la nature ayant conscience de soi ; la liberté intellectuelle des Stoïciens, qui est la connaissance même de la nécessité, c’est la nature se possédant elle-même ; l’extase mystique, enfin, par laquelle l’individualité s’absorbe dans l’être universel, c’est la nature rentrant en soi et retrouvant son existence éternelle sous ses modes passagers.

III. — Spinoza nous a montré quel est le bien de l’individu ; son bien relatif, c’est ce qui satisfait ses désirs ; son bien absolu, c’est ce qui n’est plus individuel, ce qui n’est plus seulement en relation avec lui, ce qui est universel, absolu et nécessaire : c’est la nature ou Dieu. Car, encore une fois, il n’y a d’absolu que l’être, avec son éternelle nécessité.

Maintenant, l’homme ne peut pas exister seul. En fait il n’est qu’un mode de l’existence inséparable de tous

  1. IV., Prop. xviii.