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HOBBES

sivement l’homme à l’état de guerre, de division, d’anarchie : c’est cet état qu’il désigne du nom plus ou moins exact de Liberté ; puis, à l’état de guerre succède la paix sous le despotisme absolu : c’est là l’idéal de Hobbes, c’est là l’état qu’il oppose à l’anarchie primitive et qu’il appelle l’Empire ; pour lui, l’histoire entière de l’humanité se résume dans ces deux mots : anarchie, empire ; l’un marque le point de départ, l’autre la fin. — Mais, entre ces deux états extrêmes, Hobbes ne semble même pas penser qu’il puisse en exister un autre ; pourtant, entre le despotisme et l’anarchie n’y a-t-il pas place précisément pour cette liberté dont il ne comprend pas le sens ? Nous ne faisons pas ici la critique du système utilitaire de Hobbes, nous voulons simplement remarquer un oubli, une faute de raisonnement qu’il a commise et qui compromettra à la fois, aux yeux du logicien, la vérité, aux yeux de l’historien, le succès de sa doctrine politique. Quoi qu’il en soit, entrons avec lui dans l’examen de l’Empire, cet unique moyen de la paix universelle, qu’eût bien difficilement accepté Epicure, l’ennemi de toute force irrésistible, de tout fatum.

Pour passer, dit Hobbes, du simple accord à l’union proprement dite, il faut que toutes les volontés se soumettent ensemble à la volonté d’un seul. Cette aliénation de tous en faveur d’un seul ne sera autre chose qu’un nouveau contrat, destiné à assurer le maintien du premier, et dont voici la formule : « Je transmets mon droit à ce souverain, pourvu que tu lui transmettes le tien[1]. » Du reste, ce souverain tout-puissant n’est pas nécessairement un seul individu : ce peut être aussi une collection, une aristocratie, une assemblée démocratique, pourvu que ce soit un corps, une unité, et que son pouvoir soit sans limites ; mais les préférences de Hobbes pour la monarchie pure sont bien marquées[2] ; il veut tout ou rien, le despotisme ou l’anarchie, un faisceau indissoluble ou une lutte de toutes les forces ; il est l’ennemi des tempéraments, de ces « trois pouvoirs étonnés du nœud qui les rassemble, » de ces gouvernements où la division, en attendant qu’elle fasse éclater la guerre future, produit l’impuissance actuelle : la force, voilà le dernier mot de sa politique, comme de sa mo-

  1. De cive, Imp., VI, 20. Leviath., De civ., c. xvii.
  2. De cive, Imp., X; Leviath., De civ. XIX.