Page:Guyau - La Morale d’Épicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
HOBBES

res[1] ; » et que « la jouissance même de la chose désirée est, au moment où nous jouissons, un désir, c’est-à-dire un mouvement de l’âme qui jouit à travers les parties de la chose dont elle jouit. Car la vie est un mouvement perpétuel, qui, lorsqu’il ne peut s’avancer selon la ligne droite, se change en un mouvement circulaire. » — C’est là une analyse bien fine de la jouissance, mais aussi bien désespérante si on place en elle la fin désirable : car cette fin ne sera désirable que précisément parce qu’elle ne peut être possédée. Epicure eût rejeté cette définition d’un plaisir qu’il eût appelé inférieur et méprisable. Pour lui, on se le rappelle, le vrai plaisir était dans le repos ; Hobbes revient à la doctrine des Cyrénaïques : le plaisir est dans le mouvement, il est le mouvement même. D’une manière générale, agir est un bien, se mouvoir est un bien ; le fait d’avancer vers une fin, de progresser est également un bien : car la vie tout entière est mouvement, action, déploiement de force et progrès. Toutes les peines et les plaisirs, tous les désirs, en un mot toutes les « affections » de l’âme ont leur origine dans la conscience d’une puissance intérieure et solitaire, dont l’expansion sans obstacles ou la limitation suffit à produire l’infinie variété des sentiments.

Reste à considérer non plus l’homme en général, mais l’homme dans ses relations avec ses semblables, c’est-à-dire le citoyen.

Mettons en présence plusieurs de ces mécanismes que Hobbes a construits avec la sensation et qu’il met en mouvement par l’intérêt ; quels rapports généraux vont s’établir entre eux ? L’homme, pour Hobbes, n’est pas autre chose qu’une sorte de machine à sentir ; c’est une force qui se prend elle-même et elle seule pour fin, qui, dans quelque direction qu’elle semble se lancer, revient toujours après des détours plus ou moins longs à ce même point : « moi. » Qu’à côté de cet homme, on en place un ou plusieurs semblables à lui, cela suffira-t-il à produire la moindre déviation dans la direction suivie, le moindre changement dans la fin poursuivie ? Nullement ; l’homme ne cessera pas plus, en société avec

  1. Bonorum maximum ad fines semper ulteriores minime impedita progressio. De Hom., XI, 15.