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THÉORIE DES DIEUX

peine et n’en faisant à personne, ne punissant ni ne récompensant personne, sans colère comme sans affection, « car ces sortes de sentiments ne viennent que de faiblesse[1] ».

Que si on cherche à approfondir la nature de ces dieux éternellement heureux et tranquilles, Epicure nous répondra qu’ils ne peuvent avoir une nature aussi grossière que la nôtre ; et cependant ils ont une sorte de corps (car, hors le vide et les atomes, il n’existe rien) ; mais les atomes qui les composent sont d’une subtilité dont rien n’approche ici-bas[2]. Aussi les dieux sont-ils invisibles pour nos yeux : c’est intérieurement, au fond de nous-mêmes, que nous apercevons par une sorte de vision profonde les images qui se sont détachées d’eux. Ces corps subtils seraient bientôt dissous si on les plaçait dans notre univers au milieu des atomes qui s’entre-choquent, ils doivent donc vivre en dehors ; ils planent au sein du vide, dans les intervalles qui séparent les mondes[3]. Ils sont en nombre infini[4], comme les mondes eux-mêmes ; la nature féconde a semé sans compter dans l’espace les dieux et les sphères. Ces dieux ont la forme humaine, car elle est la plus belle et la plus parfaite[5]. Les Epicuriens soutiennent même qu’ils doivent prendre de la nourriture, car nul corps ne pourrait subsister s’il ne réparait ses pertes[6]. Enfin ils leur assignent des sexes[7].

  1. De nat. deor., loc. cit.
  2. Cic., ibid.; Divin., II, 17; Luc., V, 148; Metrodor., περὶ αἰσθητῶν, col. 7 (Plut.). — On a rapproché avec raison sur ce point la doctrine d’Épicure des idées confuses des premiers chrétiens, qui admettaient un corps de Dieu. Si nos sens étaient assez fins, nous verrions ce corps, dit Tertullien. (De an., 22.)
  3. Τὰ μετακόσμία, τα μεταξὺ κόσμων διαστήματα. Cicéron traduit intermundia (De fin., II, xxiii).
  4. De nat. deor., I, xix, 50.
  5. Ἐπίκουρος ἀνθρωποειδεῖς μὲυ τοὺς θεούς, λόγῳ δὲ πάντας θεωρητούς, διὰ τὴν λεπτομερέιαν τῆς τῶν εἰδώλων φύσεως. Stobée, Eclog., I, 66, éd. Heeren. — Cic., Nat. deor., I, 18, 46; Divin., II, 17, 40 ; Sext., Pyrrh., III, 218 ; Plut., Pl. Phil., I, 7, 18. — Voir aussi Phœdr., Fragm., col. 7.
  6. Philodème, Volum. hercul., Περί τῆς τῶν θεῶν εὐστοχουμένης διαγωγῆς, κατὰ Ζήνωνα, col. 12.
  7. De nat deor., I,34, 95. — D’après Philodème, les dieux parlent grec ou du moins une langue qui se rapproche beaucoup du grec (Volum. herculan., col. 14).