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LA MORT ET L’lMMORTALITÉ

peuplons pas l’avenir des maux du présent. Craindre d’être puni par une puissance extérieure est puéril ; demander une récompense mercenaire est peu digne ; mais d’autre part on peut demander à ne pas périr, on peut souhaiter, sans y compter absolument, une existence qui soit en progrès sur celle-ci ; on peut penser que la mort est un pas en avant, non un brusque arrêt dans le développement de l’être ; on peut enfin espérer ne pas y perdre, comme en un naufrage, toutes les richesses intérieures qu’on a amassées, mais traverser la mort en emportant glorieusement le monde de pensées et de vouloirs généreux qu’on a créé en soi. Ici la voie aux hypothèses et aux utopies métaphysiques est ouverte. Au point de vue même de l’épicurisme, l’espérance est une consolation qu’il ne faut pas s’enlever à soi-même. Si Epicure eût vécu de nos jours, où la conception de l’immortalité tend à devenir de plus en plus riante et céleste, peut-être ne l’eût-il pas attaquée aussi ouvertement et se fût-il incliné devant elle comme il se prosternait dans les temples des dieux. Cette croyance est une source de bonheur qui n’est pas à dédaigner. Quant aux hommes qui ne partagent pas toutes les idées épicuriennes, ils seront toujours portés, malgré les raisonnements d’Epicure, à placer au-delà de la mort quelque arrière-pensée d’espoir. Ceux qui sont désintéressés ou qui croient l’être ont plus de raison de se confier en la justice de la nature ; le moi qui s’est assez élargi aurait droit de ne pas périr.