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DE LA MÉTHODE D’EXPOSITION

dont se servent beaucoup d’historiens de la philosophie, principalement en Angleterre et en Allemagne. La méthode qu’ils emploient est en quelque sorte extérieure à la doctrine même qu’ils veulent comprendre et faire connaître, elle peut servir pour un autre auteur, elle peut servir pour tous. Ils dressent plus ou moins les divers systèmes d’après le même plan, posent à chaque

    transforme en une doctrine raisonnée ce qui n’est qu’un expédient de dialectique aux abois. Malgré ces réserves et bien d’autres, il y a là un effort si habile et si vigoureux de reconstruction d’une philosophie célèbre et puissante, appuyé sur un si solide échafaudage de textes, qu’il faudrait un débat en règle pour renverser cet édifice hardi, et même pour en ôter une seule pierre. Nous inclinons à penser que l’Épicure de ce mémoire est un Épicure vu à travers Stuart-Mill. L’auteur aura du moins réussi à nous convaincre que, sur bien des points, le procès d’Épicure est à recommencer et que peut-être Cicéron a été le peintre trop sévère d’un philosophe et d’une doctrine qu’il redoutait pour les croyances et les mœurs de la République.

    Nous avons cité cet exemple pour donner l’idée de l’originalité décisive, je dirai presque impérieuse de l’auteur, qui ne s’arrête devant aucune tradition, devant aucune autorité dans l’histoire de la philosophie, et qui revendique hautement le droit, bien justifié d’ailleurs, de réviser les sentences portées avant lui. » (Comptes-rendus de l’Académie des sciences morales et politiques, t. ciie, p. 535.)

    En publiant notre Mémoire, nous nous sommes efforcé de fortifier toutes nos interprétations par de nouveaux textes, tirés souvent de Cicéron lui-même, ce détracteur systématique d’Épicure. Ajoutons que nous avons écrit un certain nombre de chapitres nouveaux, par exemple sur la théorie épicurienne de la mort, sur l’idée de progrès dans l’épicurisme, sur la piété épicurienne, sur l’amitié épicurienne ; d’autres chapitres ont été très-developpés, par exemple celui qui traite de la liberté dans l’homme et de la contingence dans le monde. Sur tous ces points nous avons tenu a justifier complètement nos opinions premières. Nous croyons qu’on ne pourra plus maintenant nous reprocher avec notre Rapporteur d’avoir idéalisé à l’excès la physionomie d’Épicure, de l’avoir vu à travers Stuart-Mill ou tout autre auteur et non à travers des textes formels. Nous espérons entre autres choses avoir démontré que le clinamen n’est pas la « pauvre invention » qu’on se représente d’habitude ; les textes que nous avons accumulés ne permettent plus, croyons-nous, de douter qu’il y avait là une doctrine parfaitement « raisonnée » et jusqu’à un certain point raisonnable. Notre bienveillant rapporteur se borne d’ailleurs à réserver jusqu’à nouvel ordre son opinion sur notre Mémoire ; peut-être, après la lecture de notre livre, cette opinion autorisée nous serait-elle acquise.