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CONCLUSION 405

forces. La nature se refait, se travaille, et cela d’ailleurs par une nécessité purement mécanique ; chaque moment de ce travail est par rapport au moment précédent une sorte de progrès, il constitue par rapport à lui une sorte d’idéal : pour connaître cet idéal et contribuer sciemment à sa réalisation, il n’est pas besoin de s’élever au-dessus de la nature même ; il suftit seulement de suivre des yeux la direction dans laquelle elle se trouve poussée et de marquer le point où elle arrivera nécessairement. Ainsi le naturalisme, qui était en quelque sorte réaliste avec Spinoza, et qui n’admettait pas que l’art de la nature pût rien faire d’inachevé et d’imparfait, se transforme par l’introduction de la grande idée d’évolution. Avec Helvétius, Bentham et Stuart Mill, M. Spencer conçoit, comme nous l’avons vu, une perfection morale et sociale. Ne pouvant se contenter de l’homme imparfait qu’il a sous les yeux, et ne pouvant d’autre part lui attribuer le moyen de se perfectionner librement lui-même, la volonté, il fait appel à la toute-puissante nature, afin qu’elle s’achève elle-même en lui. « Il est sur, dit-il, que l’homme doit devenir parfait. » Cette perfection sera identique au plus grand bonheur ; c’est à elle que nous devons travailler de toutes nos forces ; c’est là l’idéal que nous devons réaliser, idéal purement naturel, et pourtant idéal. On peut considérer le système de M. Spencer comme l’effort suprême de l’utilitarisme allié au naturalisme pour satisfaire cette tendance invincible de l’homme à dépasser le fait actuel, l’incomplète réalité.

Remarquons pourtant, en premier lieu, que l’idéal utilitaire n’est nullement certain, comme M. Spencer semblait d’abord le croire dans sa Statique sociale. Sa réalisation est tout entière suspendue aux mouvements de notre planète : que l’évolution de notre système solaire soit terminée avant l’évolution de l’humanité, que la matière terrestre vienne à se disperser, et notre idéal en voie de réalisation va se trouver brusquement interrompu, notre perfection à peine ébauchée va être anéantie. L’idéal utilitaire est incertain ; il n’est pas non plus durable. Supposons les mouvements des sphères combinés de telle sorte que l’homme plie à la fois dans l’homme, dans la société et dans tout le système solaire ; il existera encore tout autour de ce système