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404 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

raisonnement difficile à réfuter, et je ne sais si les utilitaires anglais peuvent rien répondre à cette inexorable logique.

Pour expliquer le désintéressement et le commander soit au penseur, soit à l’agent moral, ce n’est pas, comme le veut M. Spencer, au point de vue de la nature impersonnelle qu’il faut se placer. L’être qui ne se concevra que comme une simple « unité de force dans la nature » ne parviendra point à découvrir dans cette conscience de sa force mécanique la force morale du désintéressement : nous retrouvons encore ici l’impuissance des sciences naturelles à constituer une morale sous l’intervention d’aucune hypothèse métaphysique. De toutes les idées de force, de temps, de nécessité, qu’on les combine et qu’on les presse de toutes manières, on ne fera pas sortir ce commandement simple et catégorique : — Aime la vérité et sacrifie-toi pour elle. — La force impersonnelle de la nature doit ici céder la place à la volonté personnelle.

VI

L’AMOUR DE LA NATURE ET DE L’IDÉAL NATUREL DANS L’ÉCOLE UTILITAIRE.

On le voit, pour les derniers représentants de la doctrine utilitaire comme pour d’Holbach et Spinoza, l’amour de l’humanité et l’amour de la vérité se confondent avec l’amour de la nature, en qui l’humanité vit, en qui la vérité existe. Toutefois, le naturalisme utilitaire, par un point capital, est en progrès sur le naturalisme ancien, tel que Spinoza l’avait conçu. — Tout ce qui est, disait Spinoza, est bon et est le meilleur possible. Il n’y a pas de mieux ou de pire dans la nature ; il n’y a pas d’idéal dominant la nature et à l’aide duquel nous pourrions la juger : le parfait, c’est le réel. — Tel n’est pas le langage du naturahsme utilitaire. Il admet une sorte d’idéal proposé aux efforts de l’homme, et dont nous devons maintenant rechercher la valeur finale. Cet idéal qui domine la nature actuelle, ce n’est autre chose que la nature à venir, la nature à un autre degré de son éternelle et fatale évolution. Spinoza avait vu surtout l’immutabilité de la substance persévérant dans l’être ; mais, pour le naturalisme anglais, outre la persistance de la force, il y a progrès dans l’organisation des