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402 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

sance générale qui opère les changements sociaux... Elle produira l’effet qu’elle pourra. Ce n’est pas pour rien qu’il a en lui de la sympathie pour certains principes et de la répugnance pour d’autres. Avec toutes ses facultés, ses aspirations, ses croyances, il n’est pas un accident, il est le produit du temps. Qu’il se rappelle que, s’il est fils du passé, il est père de l’avenir ; que ses pensées sont ses enfants, et qu’il ne doit pas les laisser périr dans l’aban- don... L’homme sage ne regarde pas la foi qu’il porte en lui comme un accident sans importance. Il manifeste sans crainte la vérité suprême qu’il aperçoit. Il sait qu’alors, quoi qu’il advienne, il joue son vrai rôle dans le monde ; il sait que, s’il opère le changement voulu, c’est bien ; s’il échoue, c’est bien encore, mais sans doute moins bien 1. »

L’idée qui semble dominer ces belles pages, c’est le respect de la pensée humaine, sous toutes ses formes et dans toutes ses œuvres ; ce que je pense doit m’être, en quelque sorte, sacré à moi-même. Pourtant, ce respect de la pensée, au lieu d’être inspiré ici par la dignité même de la pensée, semble plutôt inspiré par son utilité ; ce que je vénère en elle, ce n’est pas elle-même, c’est la série infinie de ses conséquences, c’est aussi la série infinie de ses causes ; afin de comprendre ce qu’elle vaut, il est nécessaire que je sorte de moi pour considérer le cours des choses, il est nécessaire que je plonge dans le passé et l’avenir. Ma pensée, enfin, lorsqu’elle dérange l’équilibre des opinions reçues par une nouveauté dangereuse, a besoin d’une justification, et la vérité, lorsqu’elle vient troubler le monde qui marchait et vivait sans elle, semble avoir besoin d’une excuse.

Mais si cette excuse peut valoir pour le monde, si réellement la vérité est plus utile au monde que l’erreur et, pour cette raison. ne doit jamais être cachée, la même raison vaudra-t-elle pour moi et m’inspirera-t-elle un respect inviolable du vrai ? Répandre la vérité, être parfois persécuté pour elle, souffrir pour une chose qui ne vaut qu’en tant qu’elle donne du plaisir, ne serait-ce pas me mettre en contradiction avec les principes mêmes qui doivent guider ma conduite ? Nous le savons déjà, avec quelque ardeur que l’école anglaise commande à ses adeptes le désintéressement et l’altruisme, elle ne peut le commander

1. Premiers Principes, p. 132.