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400 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

faire large et libre, comme la vérité qu’elle veut embrasser. Pour trouver le vrai, ne faut-il pas que le penseur oublie l’agréable, oublie l’intérêt, s’oublie lui-même ? et ne pourrait-on dire que la vérité intellectuelle, comme la bonté morale, doit être faite de désintéressement ? Si nous cberchons la vérité, en effet, si nous la trouvons, c’est que nous l’aimons ; et si nous pouvons l’aimer, c’est que nous la croyons identique au bien même. Il esl bon, il est moral d’être dans le vrai ; il est bon, il est moral que la pensée s’accorde avec elle-même, ne s’annule pas par des contradictions, ne se rabaisse pas par des erreurs. Chercher la vérité, à ce point de vue, apparaît comme une dignité, comme un mérite ; et c’est en la cherchant de cette façon qu’on peut la trouver tout entière. Au contraire, pourrait-on atteindre l’idéal qu’on ne ferait que désirer d’un désir égoïste ? et si le seul intérêt nous portait vers le vrai, pourrions-nous y parvenir ? — Le génie, a dit un homme de génie, c’est de la persévérance. — Mais persévérance, c’est volonté, c’est courage moral. Pour découvrir les vérités les plus humbles , il a fallu souvent une volonté prête à tous les sacrifices, prête à donner sans mesure pour obtenir ce qui est sans prix. Il est peu de vérités acquises qui n’aient coûté un sacrifice ; il en est, surtout dans le domaine moral et social, qui ont demandé des dévouements sans nombre et ont été payées avec le sang. Si génie, c’est persévérance, c’est aussi et par-dessus tout enthousiasme. Le penseur, comme le poète et l’artiste, a une divinité en lui : ce dieu qui paraît alors lui être présent, ne serait-ce pas sa volonté à lui-même, sa volonté désintéressée et éprise de l’idée ? Oui sans doute, dans ces moments où il semble qu’un dieu se fait jour en nous, c’est notre volonté qui se fait maîtresse ; qui, après un lent travail, parvient à briser toute la chaîne habituelle et vulgaire de nos pensées, toutes nos associations d’idées, tout ce qui, d’après les empiristes exclusifs, constitue le fond même de l’esprit, et, par-dessus toutes ces anticipations instinctives, ces « attentes » machinales et ces préjugés, fait apparaître enfin la vérité. L’enthousiasme, cette chose divine, semble donc avant tout volonté et abnégation. Il faut que disparaisse de moi toute préoccupation d’intérêt exclusif, toute considération étrangère à la vérité poursuivie. Il faut que je me possède tout entier moi-même, pour me donner tout entier. Il faut que je puisse me dire en allant vers la vérité : Quoi que je trouve au