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398 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

tion psychologique ; il reste toujours à savoir quels en sont le principe et le terme. — Nous sommes mus par l’intérêt, dit La Rochefoucauld. — Sans doute, lui répondrons-nous, au moins dans un très-grand nombre de cas. — Toutes nos vertus, vues par une certaine face, peuvent être des moyens de l’intérêt. — Sans doute, encore. Agrandissez tant que vous pourrez la part de l’intérêt ; montrez-nous en nous-mêmes, par une sorte de fantasmagorie, l’égoïsme naturel maître et seigneur, dominant toutes nos actions passées : toujours est-il que vous nous le montrerez, que nous ne le savions pas, que nous croyions le contraire, que nous croyions être épris seulement de la beauté du devoir ; nous avions un idéal, et plus nous allions vers cet idéal, plus nous effacions en nous l’égoïsme. Ne pouvons-nous pas prévoir, ou tout au moins concevoir un moment où le désintéressement deviendrait à son tour maître de notre âme ? Oui, nous portons encore dans les plus profondes et les plus basses parties de notre être le monde de l’intérêt, avec ses « abîmes » , ses « ténèbres » , ses sinuosités et ses détours ; mais, par la pensée concevant l’idéal, nous avons déjà la tête dans un autre monde, dont la lumière emplit nos yeux. Oui, l’intérêt et l’amour de soi ne nous sont pas encore devenus entièrement étrangers : s’ils nous l’étaient , nous ne comprendrions rien à votre livre des Maximes ; nous ne vous admirons que parce que, en nous peignant l’égoïsme, vous nous avez représenté en définitive une partie de nous-mêmes, et une partie à laquelle nous devons nous-mêmes échapper par l’énergie de notre vouloir. A force de cacher aux autres nos instincts égoïstes, nous les avions cachés à nos propres yeux ; nous ne les reconnaissions plus, vous nous les révélez ; par là, vous nous êtes utile. Nous choisirons en plus grande connaissance de cause entre l’amour de soi et l’amour d’autrui. On pourrait faire la contre-partie des Maximes de La Rochefoucauld ou des genèses de l’école anglaise et montrer partout la volonté de désintéressement à côté de la volonté égoïste. Ce nouvel aspect des actions humaines, joint à celui que l’école anglaise nous montre, servirait à mieux faire voir la vraie nature de l’évolution psychologique et morale. Bien plus : on pourrait peut-être montrer le germe de la volonté désintéressée au fond même de la volonté égoïste. L’intérêt ne serait pas autre chose que le premier degré, la période d’enveloppement d’une volonté qui, de sa nature même, et lorsqu’elle s’est enfin débarrassée de