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388 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

qu’en oubliant votre système sur la sympathie ; or oublier, ici, dans une certaine mesure n’est-ce pas nier ? A ce point de vue, le moindre mouvement de vraie sympathie est un élan vers un idéal supérieur au système purement utilitaire. Au moment où la sympathie me pousse à accomplir un acte de désintéressement, par exemple secourir un homme en danger, que je me répète à moi-même : « La sympathie n’est qu’une contagion nerveuse ; » cette idée, agissant comme toutes les idées sur les nerfs mêmes, la contrebalancera et tendra à la faire disparaître. La sympathie du cœur, si elle n’est qu’un instinct, est du moins un instinct trop délicat pour pouvoir m’entraîner si je n’oublie pas qu’elle m’entraîne. Nous nous retrouvons ainsi en présence des lois psychologiques que nous avons dégagées de l’analyse des faits et que nous avons opposées aux « genèses » de sentiments tracées d’une manière trop exclusive par l’école anglaise. En premier lieu, tout instinct, en devenant conscient, tend à se détruire : la sympathie purement instinctive se réprimera donc en se connaissant elle-même. En second lieu, toute association d’idées, en devenant consciente, tend à se dissoudre, surtout lorsqu’en définitive elle se réduit à une erreur ; or la sympathie est une erreur par laquelle je m’imagine souffrir à votre place : sur la foi d’une ressemblance trompeuse, je vous prends pour moi. Un oiseau, dit la fable, apercevant dans un tableau un oiseau tout semblable à lui, merveilleusement reproduit par le peintre, courut becqueter la toile inerte ; ainsi fais-je en allant à vous parce que vous me ressemblez, en vous prenant pour un autre moi-même, alors que vous en êtes seulement la lointaine image. La réflexion et la conscience, en écartant l’illusion, éloigneront la sympathie.

En troisième lieu, toute passivité, en se pensant elle-même, tend à disparaître sous l’action de la pensée. Penser que toute notre sympathie se réduit à « être passifs ensemble » , c’est donc tendre, par cela même, à la faire cesser. Aussi, sympathiser véritablement, ce serait sans doute s’élever au-dessus de cette sympathie apparente que les utilitaires connaissent seule ; ce ne ’serait pas seulement pâtir ensemble, mais vouloir ensemble et, à l’occasion, vouloir pâtir, vouloir souffrir ; ce serait mettre d’abord en commun les volontés, afin de mettre en commun les sensibilités. La vraie sympathie, loin d’être