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CONCLUSION 387

est connue : c’est nous-mêmes. Au contraire , ce qui porte d’abord à croire qu’il y a sympathie entre les cordes d’un instrument, c’est que nous ne voyons pas les mouvements se transmettre fatalement de l’une à l’autre ; nous douons de vie chaque corde ; il nous semble que, spontanément, elles-mêmes se sont mises d’accord. Ainsi, pour introduire la sympathie dans les mécanismes du monde extérieur, il semble que, par une sorte de subterfuge mental, nous en enlevions d’abord la nécessité. Du monde extérieur, remontons à l’intérieur. Pouvons-nous concevoir la sympathie de l’homme pour l’homme comme un simple accord des nerfs, une alliance des tempéraments, un battement symétrique des cœurs ? Ne nous représentons-nous pas le mouvement de sympathie qui nous porte vers autrui comme parti de nous-mêmes, comme tout spontané ? C’est là un fait psychologique que ne nieront pas, sans doute, les empiristes et les utilitaires et que Spinoza lui-même a reconnu 1. En d’autres termes, pour prendre pleine et entière conscience d’une vraie sympathie, il faut perdre, ne fût-ce qu’un instant, cette conscience de la fatalité que doit posséder tout fataliste convaincu ; pour que mes nerfs eux-mêmes accomplissent sans trouble et jusqu’au bout toutes leurs vibrations sympathiques, il faut que j’attribue ma sympathie à autre chose qu’à des nerfs, il faut qu’à tort ou à raison je l’attribue à ma volonté. — Illusion ! direz-vous ; effet d’un sentiment subjectif, dont nous sommes tout prêts à vous faire la genèse. — Soit ; voici alors la question que nous pouvons vous répéter : Persuadez-vous bien à vous-mêmes que c’est une simple illusion, persuadez-vous bien de votre système ; en prenant conscience de cette illusion, vous la dissiperez ; en la dissipant, ne dissiperez-vous pas la sympathie même ?

Nous avons déjà vu se montrer à diverses reprises cette divergence qui semble exister entre la théorie et la pratique des vrais utilitaires : plus vous croirez à l’utilitarisme en l’approfondissant dans toutes ses conséquences, moins vous serez capable, semble-t-il, de faire ce que conseillent de faire ses théoriciens. Ici, la contradiction est plus évidente et plus importante encore : la théorie exige une sympathie constante avec les autres hommes ; mais vous ne pouvez sympathiser avec autrui, d’une manière durable,

1. Voir La Morale d’Epicure et ses rapports avec les doctrines contemporaines, liv. IV.