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CONCLUSION 379

tion ; reste à savoir si la moralité même se contredit et change. Celui qui marche sur la tète obéit encore aux lois du mouvement ; celui qui accomplit avec bonne intention les actes les plus bizarres obéit encore à ce qu’il croit moral, beau et bon. La conception que je me fais du bien extérieur peut varier ; celle que je me fais de la bonne volonté est fixe. Que la volonté humaine se manifeste de telle ou telle manière, c’est une question qui ne regarde pas notre moralité même ; l’important est qu’elle se manifeste. Que je veuille, que je veuille moralement, que les autres hommes soient aussi capables de vouloir moralement, cela suffirait à la rigueur, ou du moins le reste est secondaire. La vraie méthode de l’école utilitaire ne devrait pas être seulement de montrer des contradictions dans telles idées et tels sentiments moraux des peuples ; elle devrait découvrir un peuple qui n’eût certainement pas la moindre idée d’une moralité quelconque et ne sût en aucune manière ce que c’est que bien et mal, bonne ou mauvaise volonté, mais simplement ce que c’est que l’utile ou le nuisible. Or il sera bien difficile de découvrir un tel peuple. Les voyageurs rencontrent sans doute des tribus qui n’ont nulle idée de la pudeur, d’autres qui n’ont nulle idée du vol, etc. De tous ces faits plus ou moins contestables un moraliste anglais fait une liste : ici, dit-il, l’idée de la pudeur n’existe pas ; là, l’idée du vol, etc. ; donc l’idée de la moralité n’existe pas dans l’homme. Mais cela revient à dire : Tel homme manque du bras gauche, tel autre du bras droit ; donc tous les hommes sont sans bras. Pour prouver que l’homme n’est pas nécessairement et universellement un être moral, il faudrait, avons-nous dit, trouver une collection d’hommes, ou au moins un homme qui fût complètement étranger à toute idée de bien moral. Or, sans aller plus loin, on ne trouvera pas seulement un homme à qui soit étrangère l’idée de courage et qui n’applaudisse à un acte de bravoure ou de dévouement. M. Bain, du reste, semble trancher la question en reconnaissant que, chez tous les hommes, il existe un même sentiment moral, c’est-à-dire une faculté d’approuver et de désapprouver ; c’est seulement, d’après lui, dans les « matières » auxquelles s’applique ce sentiment , dans les actions qu’on approuve ou désapprouve, que se produit la diversité et se manifeste l’évolution. Mais, là où existe un sentiment moral, il peut exister une volonté morale. « L’accord entre les hommes est émotionnel, » dit M. Bain.