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378 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

retrouve la même volonté du bien. — Tels peuples volent, assassinent, etc. : voilà la moralité de l’homme perdue ! — Pourquoi ? Ces peuples commettent-ils le vol et l’assassinat en croyant commettre des actes bons ? ont-ils bonne intention ? — Oui, dites-vous. — C’est contestable, mais accordons-le. Il en résulterait simplement que ces peuples veulent le bien, mais qu’ils traduisent cette volonté d’une autre manière que nous. Soutenez-vous au contraire qu’en volant, en tuant, ils ont la vague conscience de mal faire ? Alors, par cette conscience même, ils affirment l’idéal moral qu’ils violent, et leur immoralité est une preuve de la moralité. — Les idées morales des peuples, d’après Büchner, « diffèrent comme la nuit et le jour1. »

— Soit, mais ce sont toujours des idées morales, c’est-à-dire des conceptions d'un certain idéal de l’homme et de l’humanité. M. Bain prétend que, chez les Grecs, la coutume de boire du vin en l’honneur de Bacchus, ou, chez les musulmanes, la coutume de sortir voilées, a « la même autorité que n’importe quelle obligation morale2 », par exemple l’obligation de ne pas tuer. — C’est bien douteux. Mais, après tout, si par hypothèse les musulmanes déployaient le même mérite à sortir voilées qu’à accomplir n’importe quel autre acte moral, elles affirmeraient pour leur part, avec non moins d’énergie que les Européennes, l’universelle conception d’une moralité. M. Darwin soutient à son tour, non sans vraisemblance, que, « si les hommes s’étaient produits dans les conditions de vie des abeilles, ce serait un devoir sacré pour nos femelles non mariées de tuer leurs frères , à l’instar des abeilles ouvrières, et pour les mères de détruire leurs filles fécondes3. » — Mais si, effectivement, c’était là pour elles un devoir sacré et conscient, que faut-il davantage à ceux qui soutiennent l’universalité d’une conception quelconque de la moralité idéale ?

Ainsi pourraient répondre les idéalistes aux utilitaires. Ce qui domine tout ce débat des empiristes et de leurs adversaires, c’est l’éternelle confusion de l’action, signe de la volonté, qui peut varier comme tout signe, avec la volonté intérieure, qui peut rester la même sous les signes les plus divers. Les mœurs se contredisent, elles sont dans un perpétuel changement et dans une perpétuelle évolu-

1. Science et Nature, I, p. 199.

2. Bain, Emot. and will, loc. cit.

3. Darwin, Descendance de l’homme, loc. cit.