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CONCLUSION 377

gira sans cesse une humanité meilleure. Seulement les moins bons, au lieu d’y être anéantis, comme le sont dans la nature les plus faibles, seront relevés, moralises, et alors, loin d’être un obstacle à l’évolution, ils lui deviendront une aide : chacun, selon ses forces morales, travaillera à élever sans cesse au-dessus de soi l'idéal même de la moralité.

Aux arguments tirés de l’évolution des espèces animales sous la loi de la force et de l’intérêt, l’école anglaise en ajoute d’autres, tirés de l’évolution de l’espèce humaine sous ces mêmes lois.

Nous l’avons vu, selon cette école il n’y a rien ou presque rien d’universel et d’immuable dans les idées morales : tout en elles est changement et mouvement, et le seul principe qui préside à leur mouvement, le seul qui parvienne quelquefois à les fixer et à les immobiliser, c’est l’intérêt. Tel peuple trouve pieux de tuer et de manger son père ; tel autre trouve juste de voler, d’assassiner ; tel autre trouve logique d’abandonner les malades ou encore de hâter leur mort, etc. Lorsqu’on aura fait une collection et un catalogue complet de toutes ces opinions multiples, alors seulement, d’après M. Bain, on pourra connaître les points très-rares sur lesquels a lieu l’accord universel ; mais on peut dire d’avance que l’accord des jugements sur ces points sera produit par l’accord même des intérêts. En somme, la loi morale, dans le sens étendu que nous donnons à ce mot, n’est ni immuable ni universelle ; l'intérèt seul est universel, mais non immuable ; et c’est lui qui, par ses évolutions successives, explique et ramène peu à peu à l’unité la variété infinie des idées et des sentiments moraux. Ainsi peuvent se résumer les objections accumulées depuis Pyrrhon, Epicure, Garnéade, Sextus Empiricus, Montaigne, Mandeville, Helvétius, Diderot, jusqu’à MM. Bain, Darwin, Spencer et aux savants modernes.

A vrai dire, dans cette question qui depuis des siècles a soulevé tant de discussions, il y a plus d’un malentendu. Les partisans de la moralité pourraient reprocher à leurs adversaires d’avoir trop confondu les notions morales et les sentiments moraux avec la volonté morale, et d’avoir admis sans preuve suffisante que la contradiction des notions et des sentiments atteignait la volonté morale elle-même. Peu importent en définitive , pourrait dire un idéaliste, toutes les formes diverses que revêtent les idées morales et les mœurs, si sous ces formes multiples on