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376 LA MORALE ANGLAISE CONTEMPORAINE

sa chaleur et sa lumière, il communiquera le mouvement et comme la vie à tous nos mécanismes. Peut-être aussi, au fond de la nature, dort-il je ne sais quel esprit de moralité ; peut-être la nature même n’est-elle qu’un grand et vague effort, une sorte de pénible enfantement, pénible et pourtant plein d’espérance. Ce qui sortira de tout ce travail intérieur, elle ne le sait pas au juste ; l’homme l’entrevoit, et nomme cet idéal du nom de moralité. Mais, pour que notre idéal ne soit pas un rêve et une chimère, il faut qu’il ait ses racines dans la profondeur de la nature ; il faut qu’il y soit plus ou moins présent partout, qu’il l’échauffé et la vivifie tout entière. La chimie des corps admet ce qu’elle appelle la chaleur latente ; pourquoi la chimie mentale n’admettrait-elle rien de semblable ? L’humanité actuelle existe à l’état latent dans le monde animal, comme l’humanité future existe en nous à l’état latent. Tout dans la nature se tient et se contient mutuellement. Qui sait si, pour que l’homme puisse faire un pas vers son idéal moral, il ne faut pas que le monde entier marche et se meuve avec lui ? La loi de sélection naturelle, si brutale au premier abord, sert pourtant elle-même à la réalisation graduelle de cet idéal ici-bas. D’après la loi qui domine toute la nature animale, c’est’ le plus fort qui se fait une place, s’ouvre une voie et, par là, ouvre la voie même où la nature doit m.archer ; c’est du côté de la plus grande force que la nature se dirige sans cesse. Mais la force, autrefois, avait réellement pour elle les meilleures raisons : être fort, n’est-ce pas être, au point de vue de l’espèce, au point de vue de la nature, le meilleur ? Je dirai plus : la force ne s’exerce pas sans un certain déploiement d’énergie et d’audace ; les plus forts, ce sont en général les plus courageux. Aussi la force est-elle, en moyenne fia nature n’agit jamais que sur des moyennes) , supérieure moralement à la faiblesse et constitue-t-elle parfois une sorte de droit au triomphe. La sélection par la force fut ainsi la condition du progrès, et c’est elle qui en marqua la direction. Mais on peut prévoir un avenir où, ce que fit la force, la volonté vraiment morale le fera. Là encore, la sélection s’exercera, mais d’une tout autre manière. La lutte pour le bien et pour la justice, la lutte pour la vie morale remplacera ou du moins corrigera la lutte violente pour la vie matérielle : là triomphera celui qui aura placé le plus haut son idéal et déployé le plus de volonté pour l’atteindre. De cette sorte de sélection morale naîtra et sur-