Il n’y a sans doute aucun pays où l’on s’occupe plus en ce moment des questions morales qu’en Angleterre. Depuis un siècle, de l’autre côté de la Manche, une partie de la vie intellectuelle a été absorbée par la discussion des doctrines utilitaires de Bentham. En outre, de nos jours, l’application à la morale des théories de l’évolution et de la sélection a de nouveau ému les esprits et suscité un redoublement d’activité ; sur ce point, des aperçus profonds de M. Spencer et plusieurs chapitres de M. Darwin ont fait époque et marqué l’apparition d’une morale vraiment nouvelle. Ainsi l’esprit anglais, très-pratique en philosophie comme dans les sciences, déduit toujours rapidement les résultats positifs de toute spéculation théorique : il se complaît dans la morale comme dans la mécanique appliquée ; il excelle à analyser les ressorts de la conduite comme à compter et à disposer les rouages divers de ses admirables machines. Si l’on juge de l’influence que le peuple anglais peut exercer dans les sciences morales et sociales par celle qu’il a exercée dans les autres sciences appliquées, elle devra être considérable.
L’homme dans lequel l’esprit anglais s’est personnifié le mieux, avec ses qualités et ses défauts poussés à l’extrême, c’est peut-être Jérémie Bentham. Né à Londres en 1748, sa longue existence fut tournée tout entière du côté de la pratique ; il avait pris les intérêts de l’humanité aussi à cœur qu’un commerçant peut prendre ceux de la maison où il a ses fonds engagés. Il avait l’œil sur toutes les nations du monde et leur envoyait tour à tour ses projets de réforme, faisant partout la guerre aux préjugés, aux vieilles coutumes , aux vieilles idées morales ou juridiques, et proclamant que l’intérêt personnel est à la fois le vrai principe