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AVANT-PROPOS


    restitution des doctrines tant anciennes que modernes. Nous sommes unanimes à signaler à l’Académie une étude singulièrement approfondie sur Epicure, traité avec un soin tout particulier par l’auteur, qui voit en lui l’utilitarisme à la fois naissant et presque achevé dès sa naissance... » Ici, le savant rapporteur apprécie notre travail sur Epicure et les Epicuriens, qui a été déjà publié à part. « Nous avons cité cet exemple pour donner l’idée de l’originalité décisive, je dirai presque impérieuse de l’auteur, qui ne s’arrête devant aucune tradition, devant aucune autorité dans l’histoire de la philosophie et qui revendique hautement le droit, bien justifié d’ailleurs, de reviser les sentences portées avant lui. Dans cet ordre d’interprétations vraiment neuves et personnelles, citons particulièrement le chapitre sur Benlham, où l’auteur rectifie habilement, non sans des raisons plausibles et fortes, l’analyse et l’explication qui avaient été proposées par M. Jouffroy de cette doctrine. Tout dans celte exposition des systèmes est tellement complet, conçu dans de si larges proportions, que véritablement on ne pourrait se plaindre que de l’excès et de la surabondance, non dans les détails, qui tous ont leur prix, mais dans l’ensemble de cette vaste composition, où l’on sent vaguement qu’il y aurait à reu trancher quelque chose pour en faire une œuvre plus harmonieuse et plus saisissante, sans qu’on puisse se décider à marquer la place où le sacrifice devrait être accompli.

    La partie critique ne le cède en rien à la partie historique. La méthode de l’école inductive opposée à la méthode intuitive, la fin moraie déterminée par les différents critériums de l’école utilitaire, les questions de l’obligation et de la sanction, l’examen de la science sociale, du droit et de la politique d’après les nouvelles doctrines, enfin, ce qui est vraiment nouveau, le système de l’utilité et le système tout récent de l’évolution comparés entre eux et ramenés l’un à l’autre : voilà un ample programme, tracé et rempli de manière à donner pleine satisfaction aux exprits les plus exigeants. Je ne ferai qu’une seule remarque sur la méthode dialectique de l’auteur. Il est tellement pénétré de l’excellence de la vérité qu’il porte presque trop loin les concessions à ses adversaires. Il est bon d’être généreux ; il n’est pas même mauvais d’être convaincu de sa force. Mais enfin, parfois, il y a comme une noble imprudence à trop accorder d’avance aux doctrines fausses. C’est jouer un jeu dangereux que de donner une impression si vive et si engageante des syslèmes que l’on doit combattre. Il semble que l’auteur ait voulu ne rien épargner pour en augmenter la séduction logique et le prestige, comme pour augmenter le mérite de les vaincre. N’est-il pas à craindre que le trouble de l’esprit du lecteur ne survive au péril entrevu, et que la vérité démontrée ne vienne trop tard rassurer la pensée un instant surprise et confondue ?

    Mais, en compensation de ces légères critiques, il faut louer sans restriction la science de l’auteur, puisée aux sources, sa fécondité inépuisable d’argumentation, la variété de ses points de vue, les conclusions décisives, et par surcroît l’éloquence, celle qui résulte du mouvement de la pensée et qui répand la lumière avec l’émotion partout où elle se porte. Quelques-uns des arguments trouvés par l’auleur, particulièrement contre l’école de l’évolution, resteront dans la science et garderont le nom de l’auteur, réservé d’ailleurs, on peut l’augurer à coup sûr, à d’autres succès et à un bel avenir d’écrivain philosophe... » (Comptes rendus de l’Académie, t. CII, p. 535.)