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AVANT-PROPOS

dogme est foncièrement immoral en lui-même, mais tout système qui n’est pas un dogme ne peut plus rien offrir de véritablement dangereux à Fesprit qui poursuit la vérité : car la diversité des systèmes est précisément le seul moyen de la découvrir. Chaque théorie, quel qu’en soit Tobjet, aura donc des droits égaux aux yeux du penseur : qu’il s’agisse de la morale et de ses fondements ou de toute autre science, peu importe. Tout doit être objet de libre spéculation et de libre examen pour l’homme, et ce sont les spéculations sur les choses les plus graves, comme la morale, qui doivent être le plus encouragées, dans quelque sens qu’elles se portent ; au fond, et pour qui regarde l’avenir, elles sont les plus utiles de toutes, car si elles contiennent quelque part de vérité, cette vérité est de toutes la plus haute. Il faut donc mettre au grand jour même ces doctrines réputées dangereuses, sans rien en cacher, sans rien y changer ; il faut reconnaître hardiment ce qu’elles peuvent avoir de beau et de vrai ; il faut aussi relever non moins hardiment ce qu’elles peuvent avoir d’inexact et d’incomplet, d’autant plus que, entreprendre ainsi la critique sincère et sérieuse d’un système, c’est quelquefois finir par se convaincre mieux soi-même de sa vérité relative. Si une doctrine est séduisante, si elle vous tente, raison de plus pour ne pas se signer devant elle comme les moines du moyen âge, mais pour la regarder en face, en se disant que ce qu’on prend pour la tentation, c’est peut-être le salut. Assurément notre époque est un temps de trouble et d’inquiétude pour les esprits qui ne possèdent pas le calme un peu triste et la raison froide du savant ou du philosophe : c’est précisément ce qui fait sa grandeur. Celui-là ne se sent jamais troublé ni inquiet, qui n’a