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AVANT-PROPOS

à la fois. Aussi ne voulons-nous pas faire de la doctrine anglaise une doctrine bénévole et indifférente. Non, mais nous croyons qu’un système si sincère, qui s’appuie sur le seul raisonnement et prétend être fort comme la science, mérite l’examen le plus approfondi et le plus consciencieux ; qu’on ne se borne donc pas, comme on le fait trop souvent, à le flétrir d’un mot hautain ou à l’écarter comme dangereux ; il est digne d’être étudié sans prévention, d’être compris et respecté même lorsqu’il paraît porter atteinte à des idées qui noue sont chères. Le caractère le plus remarquable de l’esprit philosophique et scientifique moderne, c’est de ne plus s’enfermer dans une doctrine, de s’ouvrir tout grand à toutes, sans crainte et sans hésitation, prêt à admettre la vérité nouvelle, prêt à recommencer tout son travail d’autrefois, à rompre avec son passé, plein de cette tranquillité que la nature apporte dans ses métamorphoses et qui ne compte pour rien les souffrances du moi, ses préjugés évanouis ou ses espérances brisées.

A ce large point de vue, où doit se placer tout chercheur consciencieux de la vérité, y a-t-il encore des « doctrines dangereuses », suivant une expression souvent employée et qu’on n’a pas épargnée aux théories anglaises ? Nous ne le croyons pas. Une théorie, un système raisonné ne peuvent être dangereux, car le danger serait dans la raison même, puisqu’ils ne tirent leur force que de la raison. On pourrait plutôt appliquer une telle épithète aux superstitions populaires, aux rehgions qui se prétendent révélées et qui, s’appuyant sur le miracle et le mystère, s’appuient sur l’irrationnel, sur 1’ « absurde », comme l’avouent Tertullien et Pascal ; ne tendent-elles pas ainsi à détruire en nous la raison pour s’y substituer ? Tout