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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

La masse confuse et obscure de nos souvenirs accumulés ressemble à ces grandes forêts qu’on aperçoit de loin comme une seule masse d’ombre ; quand on y pénètre, on distingue de longues percées sous les arbres, des halliers, des clairières, des perspectives où les yeux se perdent. Bientôt on y remarque des points de repère qui servent à se reconnaître : on s’habitue à y marcher sans crainte et sans hésitation. Tous ces grands arbres en désordre s’arrangent dans l’esprit et s’y disposent selon des associations fixes. Au début, rien que des souvenirs passivement conservés, d’où suit la confusion dont nous avons parlé ; partant, point d’idée claire du passé en opposition avec le présent et l’avenir. Puis vient l’imagination, avec l’intelligence, qui jouent avec les images et les idées, les mettent ici ou là, à leur gré, rêvent un monde selon nos désirs. Alors se produit un contraste de l’imagination active avec le souvenir présent, qu’on ne peut modifier si aisément, qui reste ancré dans une masse d’associations dont on ne peut le détacher. La scission se produit alors en nous : l’imagination passive ou mémoire se distingue de l’imagination active.

Nous avons vu que le sentiment du temps vient en partie du sentiment de la différence,