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FOND ACTIF DE LA NOTION DE TEMPS

divisé ainsi le temps en parties distinctes. J’ai soif, je bois à un ruisseau. Un quart d’heure après, je revois le ruisseau qui, par association, me rappelle ma soif, mais, en réalité, je n’ai pas soif et l’eau fraîche ne me tente plus du tout. Et pourtant ma représentation est distincte, elle a un témoin : le ruisseau qui m’a désaltéré. Ainsi s’affirme le souvenir en face de la réalité actuelle, le passé en face du présent. L’animal même qui a bu au ruisseau commence à avoir dans la tête des cases distinctes pour le passé et pour la sensation présente.

Ce sentiment du passé n’a tout d’abord rien d’abstrait ni de scientifique ; il est associé au sentiment de plaisir que nous éprouvons à retrouver des choses déjà connues. Après avoir fait voyager un chien, ramenez-le à sa maison, il bondira de plaisir. De même un visage connu fera sourire un enfant, tandis qu’un visage inconnu lui fera peur. Il y a une différence appréciable pour la sensibilité entre voir et revoir, entre découvrir et reconnaître. L’habitude produit toujours une certaine facilité dans la perception, et cette facilité engendre un plaisir. L’habitude suffit déjà à elle seule pour créer un certain ordre : on pourrait peut-être dire que tout sentiment de désordre vient de l’inaccoutumance.