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GENÈSE DE L’IDÉE DE TEMPS

La fatigue, la nuit, le vertige, l’abîme
Au fond duquel, dormant comme le souvenir,
Un lac vert s’allongeait environné de glace :
D’un élan, sans quitter la montagne des yeux,
Sentant revivre en moi la volonté tenace,
J’escaladai le roc, et je croyais, joyeux,
Voir ma force grandir en approchant des cieux.

Vide profond et sourd qu’en nos cœurs le temps laisse,
Abîme du passé, toi dont la vue oppresse
Et donne le vertige à qui t’ose sonder,
Je veux, pour retrouver ma force et ma jeunesse,
Loin de toi, le front haut, marcher et regarder !
Jours sombres ou joyeux, jeunes heures fanées,
Evanouissez-vous dans l’ombre des années ;
Je ne pleurerai plus en vous voyant flétrir,
Et, laissant le passé fuir sous moi comme un rêve,
J’irai vers l’inconnu séduisant qui se lève,
Vers ce vague idéal qui point dans l’avenir,
Cime vierge et que rien d’humain n’a pu ternir.
Je suivrai mon chemin, marchant où me convie
Ma vision lointaine, erreur ou vérité :
Tout ce que l’aube éclaire encore, a la beauté ;
L’avenir fait pour moi tout le prix de la vie.
Me semble-t-il si doux parce qu’il est très loin ?
Et lorsque je croirai, lumineuse espérance,
Te toucher de la main, ne te verrai-je point
Tomber et tout à coup te changer en souffrance ?
Je ne sais... C’est encor de quelque souvenir